" Rolling"
Des personnes dignes de foi affirment avoir vu un facétieux galet suivi de nombreux autres de toutes tailles déambuler sur les pavés de la Place de La Fontaine et se diriger vers le Musée Urbain Cabrol. Sans doute venaient-ils préparer leur exposition.
Ainsi donc, après le musée Fenaille en 2011, le musée Urbain Cabrol accueille en ce mois de juillet 2012 une fable dont le héros est un curieux galet voyageur aux multiples péripéties: "Rolling" dont on nous précise la traduction: bourlingueur.
D'aucuns, qui sur les annonces ayant aperçu les noms de "Musée Fenaille" et "statues-menhirs", s'attendaient à voir une exposition délocalisée de ce qui fait la notoriété du célèbre musée ruthénois, ne pourront qu'être déroutés par cette fiction vraie. Certes, on remarque bien, au centre de la grande salle trois statues-menhirs viennoises mais leurs pommettes saillantes les distinguent nettement de leurs homologues du Sud-Rouergue et leur grand sourire nous fait comprendre que nous avons été "roulés".
Dans la première salle, il faut prendre le temps de lire un long développement sur la philosophie de cette histoire dans laquelle le petit galet dessiné au plomb dans des encadrements très soignés, gages du sérieux de ces aventures, doit retrouver après un long périple ses frères mégalithiques de Bretagne. Il y apparaît longuement avec tous les siens et l'on nous met en garde, le galet n'est pas le masculin de galette et une pierre dressée n'est jamais une ancienne pierre sauvage! Le ton est donné, et bien que la présentation soit des plus sérieuses, abandonnons le premier degré et même le deuxième pour aller bien au delà.
La grande salle est consacrée à la gloire d'Henri Matusse à la biographie complexe dont les théories innovantes sont abondamment racontées. Photographies de jeunesse de cet éminent scientifique, de sa famille, carnets de notes prises sur le terrain, tableaux récapitulatifs, diagrammes, objets personnels-des lames de son rasoir à son appareil photo-et même des oeuvres artistiques nous familiarisent avec ce chercheur qui vécut même en Aveyron. Cet homme injustement méconnu a développé des théories originales et novatrices comme par exemple celle concernant les marées où ce sont les rochers que se meuvent vers la mer et non l'inverse! Tant de hardiesse confond! L'histoire ne le dit pas mais on peut penser que si une fracture du rocher causée par un boulet de catapulte en pleine guerre de 14-mais en Aveyron-n'avait brutalement interrompu sa vie, il eût pu être un fan des "Rolling Stones", voire le créateur du groupe!
Jamais fiction n'a paru aussi vraie. Les aspects formels de l'exposition sont beaucoup plus rigoureux que bien de présentations qui se veulent sérieuses, ils pourraient même être érigés en modèle. En conséquence, l'ensemble n'a rien d'une farce loufoque et cette exposition constitue même un miroir dans lequel apparaissent les travers des pratiques muséologiques avec la démonstration qu'une rigueur formelle ne met pas à l'abri de l'erreur ou du mensonge. Cette oeuvre poétique, par ses clins d'oeil, ne manque pas de profondeur.
Ceux qui, frustrés dans un premier temps de ne pas assister à une exposition sur les vraies statues-menhirs, ont fait l'effort de rechercher les sens de cette fiction en remercieront son créateur Olivier Douzou ainsi que le conservateur du musée Fenaille, Aurélien Pierre. Cette collaboration a donné forme à une fable aux multiples lectures qu'une seule visite ne saurait épuiser.