Sortie d'automne 20 octobre 2012
Les Amis de Villefranche ont choisi - pour leur visite d'automne - des sites situés au coeur géographique du Rouergue: le château de Vézins et les villages de Saint-Georges de Camboulas et Camboulas.
Le samedi 20 octobre, une quarantaine de personnes quittent la place Fontanges par un temps peu engageant. En arrivant sur les hauteurs du Lévezou, la brume emprisonne les pales des éoliennes mais, progressivement, le soleil gagnera la partie.
Déjà, en juin 2003, les Amis de Villefranche avaient choisi le plateau du Lévezou en privilégiant alors les sites templiers de La Clau puis Bouloc et les Canabières.
Le château de Vezins
Du village, en bas, nous voyons le château dominer de ses tours et murailles les maisons aux toits d'ardoises s'étageant sur la colline.
Son propriétaire nous accueille, côté nord, devant le portail d'entrée s'ouvrant dans une muraille crénelée restaurée en 1989. Entourant la grande cour, les murs gris se succèdent en forme de fer à cheval, forme destinée à faire face de tous côtés aux éventuels agresseurs. Ce château, nous précise le propriétaire, est toujours dans la même famille depuis presque 1 000 ans: les Lévezou de Vezins, puissante famille qui a donné des militaires et des hommes d'église ayant participé à la grande histoire de notre pays.
Un incendie accidentel en 1642 a profondément dégradé l'ensemble, détruisant murs et charpentes mais aussi le mobilier et les archives. Dans la reconstruction qui a suivi, les parties restantes du XIIe ne subsistent qu'en partie basse, de nombreux remaniements ont eu lieu au XVII mais aussi sous Napoléon III.
A notre droite, une porte Renaissance, noircie par la forte humidité du Lévezou, montre les armoiries de la famille avec aigles, lions et clés. Plus haut, les fenêtres Renaissance s'ouvrent dans des murs crépis au XIXe.
Un passage voûté du Moyen-Age, encadré par deux pilastres de la même époque, conduit sur la terrasse Sud. Les douves comblées ont laissé place à un jardin d'agrément dominant le village. La façade incurvée comporte en son centre un porche retravaillé au XVIIe à la place du donjon-porche. Des tourelles, des échauguettes viendront s'ajouter au XIXe pour redonner un air féodal. De nombreuses fenêtres rythment les façades au crépi qui se desquame à gauche et supprimé avec le retour à la pierre apparente à droite.
Nous pénétrons à l'intérieur du château par une salle voûtée qui expose l'été, les aquarelles du grand-père de notre guide. Nous en verrons une par la suite dans une autre pièce qui nous démontrera toute la virtuosité technique de cet artiste.
Plus loin, voici la cuisine restaurée au XIXe dont le puissant linteau de la cheminée porte la date de 1870, surmonté des armes habituelles de la famille de Vezins auxquelles ont été ajoutés trois arches et trois croissants symbolisant des écluses, hommage rendu à un ouvrier éclusier autodicdate ennobli par Louis XV pour services rendus et dont l'arrière petite-fille épousera, au milieu du XIXe, Louis de Lévezou. Par cet ajout, le marquis de Vezins honorait un travailleur roturier. Deux fleurs de lis-en relation avec les d'Estaing- et la devise occitane"Per lo gracio de Dious" complètent ces armoiries sous une couronne de marquis que Louis XIV leur octroya.
Ensuite par un escalier de service, nous accédons au premier étage, dans une belle pièce ovale où trône une grande table, elle aussi ovale, dont le centre est occupé par un grand chauffe- plat en métal argenté et sur le pourtour 20 couverts en vaisselle de Gien, à la couleur personnalisée et portant la devise des Vezins, semblent attendre les convives. Une plinthe murale en chêne de 1,60m de haut fait le tour de la pièce. Le parquet de chêne en point de Hongrie est l'oeuvre du même maître ébéniste Lacazotte. Point de cheminée dans cette pièce mais le chauffage y est quand même présent: depuis 1870 le poêle à bois est inséré dans une menuiserie qui le dissimule aux regards.
Le grand-père du propriétaire actuel fit installer l'électricité au château en 1927 pendant ses mandats de conseiller général et de maire de Vezins. La population du village bénéficia aussi de ce progrès.
Le groupe stationne ensuite dans un petit vestibule dont la voûte gothique lui donne un air de chapelle. D'ailleurs un des oncles du propriétaire y donnait une messe chaque été jusqu'aux années 1970. Les murs exposent des documents d'archives, des tableaux généalogiques et des portraits d'ancêtres dont Antoine de Vezins "le Lion catholique" qui s'illustra de manière dramatique au château de Graves face aux protestants. La Révolution plus tard épargna châtelain et château, les seigneurs de Vezins ayant su tisser des liens de confiance avec la population locale.
La chasse à courre se poursuivit à Vezins jusqu'en 1914, l'ancien fumoir contient de nombreux objets et souvenirs de cette activité aristocratique. Elie de Vezins (mort en 1920) grand veneur, créa une nouvelle race de chiens destinés à la chasse à courre: le gascon saintongeais. Cet élevage recueillit de nombreux prix dans les expositions canines, les plaques de récompense sur les murs l'attestent abondamment. Un traité de vénerie de 1865 réédité en 2012 est proposé à la vente. Les trophées de chasse - cerfs et sangliers -, les fusils, cors au pavillon noirci pour éviter les reflets, trompes de corne...et une dague de mise à mort des sangliers témoignent de cette activité qu'appréciaient tant les propriétaires du château.
Nous pénétrons ensuite dans une grande galerie au beau parquet de chêne assemblé en bâton rompu et au plafond à caissons du XVIIe. Trois tapisseries d'Aubusson ayant échappé à un vol ornent encore les murs. Des ancêtres portraiturés dans cette salle, je retiendrai d'abord Monseigneur de Vezins, évêque d'Agen après avoir été sous-préfet de Millau et père de cinq enfants. Son magnifique chasuble cousu au fil d'or (monument historique) voisine avec un tout petit, moins luxueux, qu'il obtint en cadeau à l'âge de cinq ans. Pouvait-il échapper à une telle prédestination familiale? Le deuxième portrait est celui d'Hippolyte de Marestaing qui fit promulguer la loi sur les accidents du travail, il n'était pas totalement désintéressé, fondateur de l'assurance "La Préservatrice", ses intérêts se conjuguaient avec ceux des salariés.
Au petit vestibule que l'on atteint aprés avoir emprunté un magnifique escalier de pierre du XVIIIe, nous remarquons le portrait du marquis de Villedeuil, fils de l'ouvrier éclusier et grand-père d'une marquise de Vezins.
La visite se termine par la chambre rouge où Henri IV aurait passé une nuit. Le parquet à panneaux chevillés du XVIIe supporte un lit à baldaquin, copie exacte d'un lit Henri II du château de Blois.
Le propriétaire évoque les soucis et difficultés que procure l'entretien d'une telle bâtisse dans le Lévezou (ouverte à la visite depuis 1990) en prenant l'exemple des 8000 m2 de toitures abritant l'ensemble du bâti du domaine. Mais ne serait-il pas plus difficile d'être le premier à se séparer d'un bien qui est dans la famille depuis bientôt 1000 ans sans interruption et qui a été lié à l'histoire religieuse et militaire, locale et nationale pendant 10 siècles?
Nous prenons congé de notre guide dont nous avons apprécié le contact, la disponibilité, ses commentaires et histoires souvent associés à des évènements familiaux.
Pour la suite de la journée, c'est Françoise Bessou, sociétaire, qui a conçu, préparé l'itinéraire et en assurera l'animation.
Eglise de Saint-Martin de Salars
Le car prend la direction de Pont de Salars en faisant un détour vers le site de l'ancienne église Saint-Martin-de-Salars implantée sur un plateau de 750m dominant la ville. Voici d'abord la quatorzième station du chemin de croix édifié en 1944 à travers la colline. Cette station, bâtie comme une grotte, abrite un sarcophage sur lequel repose une grande et belle statue du Christ mort descendu de la croix. Des fleurs naturelles témoignent de l'actualité de la foi. Un peu plus loin, l'ancienne église paroissiale apparaît derrière une grande grille. Cet établissement eut auparavant d'autres fonctions. Si on ignore la date de construction, le cartulaire de Conques mentionne sa présence en 1078. Début XIIIe, l'hôpital du Pas de Rodez y envoyait ses malades les plus valides pour exploiter la métaierie voisine.
Extérieurement l'église, malgré ses petites dimensions, a fière allure après les diverses restaurations. Un petit clocheton, sur l'arête d'un toit à deux pentes, domine les lauzes de schiste . Deux petites chapelles plus basses forment un transept. L'ancien cimetière qui prolongeait le bâtiment à l'est a disparu, il fut agrandi au nord.
Un porche conduit à la porte d'entrée. La nef et le choeur présentent de belles ogives supportant une voûte aux joints bien marqués. La lumière des vitraux modernes joue sur la blancheur des murs. De belles voûtes dominent les chapelles St Louis et du Rosaire, du XIIIe ou XIVe. La première porte une clé aux armes de la famille de Méjanès, et la seconde abrite une petite statue de bois de N.D. de Salars: une Mère à l'enfant remontant au moins au XVe. En 1851, l'église de Pont de Salars fut bénie et la chapelle Ste Marie fut désaffectée et servira un temps d'école.
L'Hôtel des Voyageurs nous accueille ensuite pour un repas à la fois copieux et recherché apprécié de tous.
Le car quitte la vallée pour se hisser sur le plateau à 779 m d'altitude et se dirige vers Camboularet. Autrefois annexe du château de Camboulas pour exercer une fonction de surveillance, cette maison forte se présente comme une belle bâtisse rectangulaire flanquée d'une tour aujourd'hui tronquée. Un artiste local a disposé - le long de la route - ses oeuvres d'art: troncs ou bifurcations de branche sommairement sculptées mais suggérant un fort dynamisme.
Saint-Georges de Camboulas
Le grand car s'aventure dans une route étroite et sinueuse vers des gorges abruptes et boisées au point que l'on s'interroge s'il ne serait pas plus sage de faire demi-tour à la première possibilité. On poursuit néanmoins jusqu'à St Georges de Camboulas, enserré par un méandre du Viaur, qu'une église fortifiée perchée sur un oppidum, domine.
Notre conductrice arrive à faire demi-tour avec son encombrant véhicule à la suite de nombreuses manoeuvres.
L'église fortifiée se présente comme une masse rectangulaire défendue par quatre tourelles aux angles et prolongée par un clocher-donjon. La salle de refuge surmontant la nef se distingue de l'extérieur par un changement dans la maçonnerie.
Au-dessus du portail d'entrée, un Christ en gloire, roman, de petites dimensions, grossièrement inséré dans la maçonnerie nous observe d'un oeil inquisiteur. Il rappelle celui de Conques avec une moindre virtuosité. Provient-il d'un portail démoli de la cathédrale romane de Rodez? Est-il une copie maladroite du tympan de Conques? Le débat n'est pas tranché.
A l'intérieur, le monument est simple et autère. Nous grimpons au-dessus de la nef dans l'immense salle-refuge. D'une ouverture, à l'est, le regard plonge sur la vallée du Viaur, sur les restes du vieux village, sur le cimetière et sur un rocher proéminent dans lequel est creusé un sarcophage.
Par un escalier dont la plus hardie des commissions de sécurité n'aurait jamais autorisé l'accès, nous grimpons au clocher-peigne. De là-haut la vue porte sur l'autre partie du village et sur les gorges du Viaur. Face aux cloches, à l'air libre, les impressions sont fortes mais avant de redescendre on ne résiste pas au plaisir de lancer le battant contre les cloches donnant un peu de vie dans ce village désert.
De retour vers le car, en bordure de route, un oratoire du XVIe s'orne des armes de Raymond Frédaud (mors de cheval) sur les chapiteaux de ses deux piliers cylindriques.
Nous prenons la direction de Camboulas, toujours par des routes incertaines par leur profil et leur étroitesse. La conductrice stationne sur un tournant où un petit dégagement autorise un demi-tour.
Un petit sentier en forte pente conduit à un endroit dégagé d'où l'on aperçoit un donjon ruiné se dressant vigoureusement au-dessus de la végétation. Ce sont les restes d'un château des comtes de Rodez - il connut ensuite de nombreux propriétaires - qui surveillait le méandre du Viaur et le pont qui le traversait. Le vieux village installé sur les pentes, aujourd'hui disparu, abritait dès le XIIIe une forte population. Le village actuel nous apparaît dans une autre direction, là où la vallée s'élargit, s'étageant sur le flanc du côteau.
Cet ancien château était particulièrement bien défendu par le promontoire dominant la vallée et son éperon barré mais tout l'horizon environnant surplombe le site comme un immense cirque de sorte que des tours de guet étaient nécessaires sur le plateau pour éviter les mauvaises surprises.
Camboulas
Les visiteurs rejoignent la route et gagnent à pied le village actuel de Camboulas que domine une imposante église: N.D. du Poujols, surmontée par un clocher-peigne de la fin du XVe.
Ce monument, édifié vers la fin du XIe par les moines de Saint-Victor de Marseille, a subi de nombreuses transformations au point que le caractère roman n'apparaît nettement que dans le chevet. Du cimetière, l'abside montre 5 ouvertures de petites dimensions, apparaissant abritées sous de fausses "arcatures aveugles", tandis que la toiture repose sur de sommaires modillons. Des fenêtres réduites éclairent faiblement des absidioles exiguës. Côté sud, des bâtiments hétéroclites modifient notablement l'aspect roman. Partout les enduits en mauvais état donnent à l'ensemble un aspect dégradé.
L'intérieur, mieux préservé, a conservé son caractère roman bien que la nef soit couverte d'une simple charpente: plan en croix latine, transept voûté en berceau et absides en cul-de-four. Une coupole originale, de forme ovale car bâtie sur une base rectangulaire, est renforcée par quatre nervures en croix. Une piéta de pierre, ancienne, occupe l'embrasure de la fenêtre de l'absidiole sud.
Les visiteurs se dirigent ensuite vers le bas du village dont une partie occupe la vallée. De nombreuses maisons restaurées avec goût dans ce cadre magnifique, rendent compte du côté attractif de ce village malgré - ou grâce - à son isolement. C'est l'occasion pour Françoise Bessou de rappeler la florissante industrie textile qui fit le renom de ce petit village fin XVIIIe où les tissus dits"Camboulas" - chaîne de chanvre et trame de laine- partaient pour tout le sud de la France.
Il est temps de regagner Villefranche et chacun remercie Françoise Bessou pour son choix de "petits" monuments, simples ou austères, mal connus malgré leur intérêt certain, au milieu d'un cadre naturel grandiose et préservé, témoins d'une prospérité passée et aujourd'hui protégés par des bénévoles méritants.